Participer à la grande ronde qu’est la vie, avec ses doutes, ses bons en avant et ses retours en arrière. Comme l’a fait la chanteuse Lubiana qui, avec Beloved, révèle toute la richesse d’un univers musical si singulier qu’il en frôle l’onirique. Elle ne le fait pas seule, mais avec sa kora. Dotée d’un long manche auquel sont attachées ses cordes, cette harpe à calebasse ouest-africaine brille par sa subtilité mélodique. Ce qui fait d’elle l’un des instruments préférés des griots. Principalement jouée par des hommes, elle a jeté son dévolu sur Lubiana. Et inversement… Avec sa voix d’or, la chanteuse belgo-camerounaise tisse un fil rouge entre les mélodies ancestrales de ses origines africaines et la pop occidentale d’aujourd’hui. En témoigne son premier album Beloved.
C’est en Belgique que tout a commencé, par la naissance d’une enfant métisse. Sa mère belge joue du violon, écoute Mozart, Schubert. Son père camerounais s’amuse de la pop passée à la radio. Très tôt, la petite fille s’essaye au piano classique et au chant. Elle grandit entre deux cultures, se rendant au Cameroun tous les ans, met du temps à trouver sa place, se sentant trop blanche là-bas, trop africaine ici. Jeune adulte, suite à sa découverte de la kora, elle plongera dans la culture de ses racines, apprendra la langue du village de ses ancêtres, le bangoua : « Mon métissage est une de mes plus grandes fiertés. Je suis une enfant du monde », dit-elle. À 21 ans, alors qu’on lui dit qu’elle n’est pas à sa place dans des études musicales supérieures, elle décide de partir se ressourcer en Espagne. Un jour, elle entend dans la rue un son « indescriptible et merveilleux » pour elle : la kora. L’instrument ne cessait de la visiter en rêve, jusqu’à s’imposer, avec la bénédiction de Toumani Diabaté qui lui révèle que c’est un signe : la kora l’a choisie, elle, Lubiana. Elle dont le prénom signifie « bien-aimée ». Après un de ses épuisants open mics américains auquel la chanteuse s’est pliée pour égrener sa musique singulière, on lui offre un livre : entre deux pages, un dessin d’elle fait plusieurs jours plus tôt. La jeune artiste a compris le message : il faut continuer à chanter. Donner vie à ce voyage intérieur qui aura duré près d’une décennie. Donner, partager, échanger, aimer.
De cette longue gestation naît aujourd’hui Beloved – en toute logique –, un album enregistré dès la fin du premier confinement, en Belgique, avec Samuel Rabet et Ziggy et Romain, duo de compositeurs. Lubiana maîtrise déjà les rouages de studio, grâce à Self Love, bel EP d’introduction produit à Los Angeles par Itai Shapira (Rhye, Kadhja Bonet, Selah Sue) et par Samuel Rabet en Belgique. « Ma vision était très claire, confirme Lubiana, je cherchais des textures organiques, même si réalisées avec des producteurs différents. En plus des morceaux emmagasinés depuis des années, tels que ‘Mamy Nianga’ ou ‘Don’t Get me Wrong’, j’ai écrit un titre par jour pendant le confinement. Tout est venu spontanément. Je fais taire mon mental pour laisser parler mon intuition, je n’analyse pas… C’est ce que j’ai hérité de la culture africaine : laisser la mélodie venir en même temps que les mots. » Ainsi, Beloved va au plus près de la vérité de son autrice : « Si quelqu’un d’autre que moi pouvait écrire/réaliser mes compositions, ce ne serait pas authentique. Cet album, c’est un partage d’amour. Et l’amour, c’est le but de la vie. »
C’est aussi le terreau des chansons de Beloved. L’amour sensuel, filial, l’amitié, l’amour d’une culture, d’une terre, des souvenirs, l’amour de soi également. Lubiana instaure le discours d’une féminité sacrée, puissante. Qui se retrouve dans ses influences, parmi lesquelles Ballaké Sissoko, Lianne La Havas, Frank Ocean et Sade. D’autres artistes Des hommes ont également compté dans son parcours et l’ont encouragée à manier la kora, comme Salif Keïta et Youssou N’Dour, dont elle a assuré la première partie en Belgique. Lubiana ne peut nier l’énergie galvanisante qui nourrit sa voix. C’est ce raconte « Don’t Get Me Wrong » : « je suis très persévérante, très déterminée. Je ne m’arrêterai pas avant d’être arrivée là où mon chemin doit me mener », confirme-t-elle. Avec Beloved, on groove (« Mamy Nianga »), on rêve (« I Wanna Dance With You », « Take Me To Zion »), on combat (« Fighter »), on contemple (« Self Love »), car une large place est laissée à la spiritualité.
Écrin de pop solaire, Beloved convoque la soul, le folk, le R’n’B, les mélodies africanisantes. Avec « Mamy Nianga », elle s’amuse à reprendre une formule camerounaise avec laquelle on surnomme ceux et celles qui font preuve de coquetterie : « mais j’accepte ma dualité, la lune, le soleil, mes parts claires et sombres… je me suffis à moi-même. » « Diarabi », lui, rend hommage au premier morceau appris à la kora par Lubiana, issu du répertoire traditionnel mandingue, dont le titre signifie « mon amour » – Beloved, encore et toujours ! « En écrivant cette chanson, c’est comme si je parlais à ma peine. Quand j’étais aux Etats-Unis, seule, sans repères, j’ai toujours eu cette certitude qu’on allait me tendre la main… »
En amont de la sortie de l’album, la chanteuse s’est adonnée aux joies du podcast avec Be…, où chaque épisode retrace l’une de ses quêtes en tant que jeune artiste afin d’« aider les autres à cultiver leur feu intérieur. » La vulnérabilité est une force, on grandit de ses échecs comme de ses questionnements. C’est ce que raconte l’entraînant « Truth » : « So many questions / So many lessons… » Avec Beloved, Lubiana nous en offre aujourd’hui la plus éclatante des preuves musicales.