Il suffit parfois d’un vol d’oiseaux qu’on aperçoit, un matin, dans l’azur, pour reprendre espoir et courage face à un monde enténébré. Un coup d’aile et voilà Zazie repartie à l’assaut des cimes musicales. Vu du ciel, son « Aile-P », recueil de huit titres légers et graves à la fois, soit quatre de plus que ceux qui figuraient déjà sur son premier « EP » tient de l’objet volant auquel on peut s’identifier. Des morceaux électro nerveux comme « Let it shine » pour planer, entrer dans la transe, « voler dans les plumes » d’une réalité qui nous donne trop souvent envie de faire l’autruche. Des chansons délicates comme « Gravité » pour marcher, en funambule, sur le fil ténu de l’émotion, entre douceur et résignation.
Avec « Aile-P », qui sort quatre ans après « Essenciel », album certifié platine, Zazie déjoue les lois de l’apesanteur et prend encore de la hauteur. Toujours à la recherche du mot juste, celui qui fera battre son cœur fragile et rendra justice à notre humanité, elle a le don, à la Souchon, de résumer en une expression familière ou poétique la vibration d’une époque. « La gravité, on peut l’éviter », « Humanité, lève-toi, relève-toi, soulève-toi ! », « C’est con c’est quand » sont autant de mantras cachant sous leur facétie joueuse des slogans qui font mouche et qui rassemblent.
Cependant, une vulnérabilité nouvelle a colonisé, comme la vigne vierge tapissant de gris-vert la façade d’une maison, l’écriture enjouée de Zazie. C’est qu’entretemps, la crise du covid et le confinement sont passés par là, contraignant l’artiste toujours par monts et par vaux à une introspection solitaire. « Pendant cette période, raconte-t-elle, je me suis accordée le droit de réfléchir autrement, d’aller un peu plus loin sur certains sujets. Voire de pleurer, sans être non plus archi dépressive, profitant du fait que je n’avais plus d’émission de télé et donc plus d’obligation d’être présentable. J’ai trouvé ce temps à soi intéressant, avec ce droit soudain à la paresse, à la tristesse et à s’envisager avec honnêteté. »
Rien de grave, donc. Mais s’offrant à nous sans fard, elle a conçu cet album, en collaboration avec Edith Fambuena, sa complice depuis son neuvième album « Encore heureux », comme une sorte d’épure musicale. « L’idée, avec Edith, qui assure la coréalisation avec moi, était d’être moins bavardes musicalement. » Et autonomes dans leur manière de travailler, avec peu de musiciens, mais triés sur le volet, en autarcie choisie teintée de sororité (et de fraternité : son frère, Phil Baron, est à la composition de deux morceaux). Une méthode comparable à celle appliquée à sa chevelure, désormais argentée : ôter des strates inutiles pour faire émerger la lumière. Et comprendre qu’il suffit de peu pour émouvoir : un piano-voix équilibriste sur le bouleversant « C’est con c’est quand », chanson sur le manque d’amour et l’incompréhension qui mènent tout droit à l’intolérance et à la xénophobie ; un lacis entremêlant riffs de guitares pop-rock, et rythmes lancinants sur le surprenant « Gilles » ; ou encore cette hypnotisante manière de marteler les mots qu’a Zazie sur « Lève-toi ».
Deux accords suffisent parfois pour installer l’atmosphère, à la fois contemplative ou enragée d’optimisme, de cet « Aile-P » où affleure derrière chaque mot une poignante sincérité. Comme dans la chanson-manifeste « Couleur », écrite dans la foulée du mouvement Black Lives Matter et des violences policières ayant provoqué, outre-Atlantique, la mort de George Floyd et la paralysie définitive de Jacob Blake. « Je suis noire, blanche, je suis de la couleur / De l’espoir, et blanche, et noire, et dans mon cœur/ Je suis Floyd, Blake, flammes qui veillent les morts/ Pour que toutes les couleurs brillent encore » chante-t-elle, le poing levé.
Mélancolique et engagée, mais toujours fantasque et avide de lâcher prise, Zazie, à l’image de la pochette qui la surprend curieusement perchée entre ciel et terre, s’abritant d’un ciel bleu sous un parapluie troué. Attentive, toujours, à surfer sur les nuages et à contempler le vol des oiseaux, mais comiquement réaliste quant à ses propres pouvoirs, bassement terrestres, pour changer le monde. Une dualité qu’on retrouve dans le somptueux « Ça commence », qui ouvre cet « Aile-P », récit humoristique des hauts et des bas de la vie d’artiste qui oscille entre salles remplies et concerts extatiques et grands moments de solitude dans des chambres d’hôtel démesurément luxueuses. Ou dans « Gilles », où le personnage de la chanson, comme atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, dévide un chapelet d’injures avec une élégance certaine. Car oui, lorsque Zazie pète les plombs, elle se débrouille encore pour changer le plomb en or. Gracieux privilège de celles qui n’oublient jamais de regarder en haut, là où un vol d’hirondelles ou d’étourneaux, indifférents à notre dérisoire condition de mortels, passe en rêvant.
« Aile-P », sortie le 2 décembre