« Il n’y a pas de musique du monde, mais de la musique pour le monde. » Lubiana

Gardienne d’un temple musical sans frontières, interprète, musicienne de kora et compositrice belgo-camerounaise, Lubiana nous entraîne dans un univers qui fascine par la richesse de ses sonorités venant d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du nord. Basée sur l’émotion, la musique de Lubiana est un habile alliage de songwriting pop et de mélodies aériennes où, terre et ciel, timbres cristallins et sons organiques, semblent lancer des appels et se répondre à la manière des « call and response » du blues et du gospel afro-américain. Au coeur de ses morceaux s’entrechoquent mélodies ancestrales provenant de son incroyable maîtrise de la kora, sonorités urbaines et rémanences de la musique classique. Des influences à l’apparence lointaines que cette Lubiana a réussi à transposer dans un style cohésif, traversé de syncrétismes. A l’image de son visage singulier – yeux bleu-vert encadrés d’une chevelure Afro hyper graphique -, la musique de Lubiana est une toile empreinte de contrastes, évoquant un monde moderne de plus en plus métissé. Ses voyages à travers le Cameroun, le Mali, la Gambie et le Sénégal, enrichis de ses expériences sur les scènes des open mic de Londres, Paris et Los Angeles ont nourri cette artiste globe-trotteuse au même titre que ses études classiques et de chant jazz au conservatoire de Leuven – Lemmensinstituut. Intitulé Terre Rouge, le nouvel album de Lubiana est le reflet d’une quête musicale arborescente. Au fil de dix titres qui célèbrent la nuance, on découvre quelques-unes parmi les sources d’inspiration qui ont accompagné cette musicienne à travers son voyage : les enseignements du maitre de la kora, Toumani Diabaté, que l’on peut entendre sur Mali, la trace en filigrane des voix de Lauryn Hill et de Lianne la Havas – avec lesquelles Lubiana partage l’amour pour la folk et la soul -, en passant par des affinités électives que cette chanteuse a tissé avec des musiciens comme l’artiste franco-rwandais Gaël Faye, invité de prestige sur la chanson Farafina  Mousso et le clip qui l’accompagne. Au fil des titres en anglais et en français de Terre rouge, Lubiana dévoile ses multiples facettes, comme si elle dessinait un motif en étoile qui flotte à la surface d’une pierre précieuse.

Autrice-compositrice, Lubiana a débuté la conception de Terre rouge en 2022 durant la tournée française de son premier album Beloved (2021) et l’a poursuivie entre le Cameroun, le Mali et le Sénégal. Elle avait envie d’entendre des sons acoustiques d’instruments et des timbres texturés. En contrepoint de son époque virtuelle, Terre Rouge a été enregistré en live, durant sept jours, avec des musiciens expérimentés, tels que Clément Ducol (compositeur et multi-intrumentiste diplômé au CNSMD), Christophe « Disco » Minck, contrebassiste et musicien de n’goni (instrument à corde traditionnel d’Afrique de l’ouest), qui a accompagné Rokia Traoré en tournée et « Titi » Dufour aux percussions, batterie et violoncelle. Ici pas de kick et de snare de la musique synthétique, mais des notes gorgées de sensualité et de magie. « J’ai composé 60 titres pour cet album, raconte Lubiana. Au fur et à mesure, certains sont apparus comme une évidence. » Tous abordent une thématique commune. Djali porte le nom des griots : les joueurs de kora, comme on les appelle traditionnellement, qui sont au cœur de Terre rouge. La Rivière des cœurs blessés évoque le sens sacré des rivières en Afrique, où l’on se purifie à travers des rituels. Farafina Mousso, qui signifie « Femme d’Afrique » en bambara, la langue du Mali, est une ode aux femmes noires qu’elle chante avec Gaël Faye. Lubiana est partie au Rwanda avec le musicien rencontrer des femmes rwandaises qui malgré l’impact indélébile du génocide rwandais portent en elles le visage de l’espoir, du du courage, de la force et de l’amour. Petit à petit l’album s’est dessiné et, en parallèle, Lubiana a préparé un documentaire, intitulé Terre rouge, qui accompagne ce disque en images.

A l’origine de Terre Rouge

Fille de deux architectes – mère belge, père camerounais – qui se sont rencontrés à Bruxelles durant leurs études universitaires, Lubiana évolue depuis toujours à travers deux cultures très distinctes entre-elles. Enfant, elle a déjà le sentiment d’être plurielle. Depuis son plus jeune âge, elle passe de longs séjours au Cameroun : à Douala, mais surtout dans le village de Bangoua, où vivent ses grands-parents paternels et reposent ses ancêtres, originaire de la tribu Bamileke. Au coeur de cet univers nimbé de mystère et de terre rouge, de goyaviers luxuriants et de plantations d’arachides, elle découvre les origines de son nom :  Lubiana Kepaou Kouamou Tchoutouo Nono. Tchoutouo et Nono sont les patronymes de ses aïeuls, des guérisseurs chefs du village. En se baladant dans les sentiers de Bangoua, elle prend également conscience de la dimension sacrée de la nature et de l’importance des éléments. En hommage à la beauté de cette

terre et à ses ancêtres, la chanson Ancestors avance telle une litanie sur les arpèges de la kora et d’un quatuor à cordes. Mélodies et arrangements sont portés par la voix de Lubiana, qui semble flotter « entre le sable et l’eau claire », comme elle le chante sur Terre Rouge. Bilingue, Lubiana virevolte avec élégance entre textes en français et en anglais selon l’humeur de ses vers. Certains sont traversés de paroles en bangoua, la langue aussi de ses ancêtres, auxquels elle rend hommage sur la chanson Ancestors. C’est une polyphonie vocale sur laquelle, en contrepoint du chant de Lubiana, on entend la voix grave de son grand-père – Jean Kepaou, 83 ans – psalmodier une prière. Il demande aux ancêtres de bénir sa petite-fille. Depuis l’enfance, lorsqu’elle marche dans les rues de Douala, Lubiana se fait apostropher par les passants qui la surnomment « la Blanche ». Sur ce titre, portée par des rythmes syncopés de percussions et de kalimba (instrument à lames, inventé il y à 3000 ans sur la côte Ouest vers le Cameroun), Lubiana partage cette sensation de flottement qui a accompagné sa vie en tant que jeune femme métisse. Une « étrangère » qui s’est longtemps demandée quelle était sa « place sur cette terre ». L’intégralité de l’album Terre Rouge répond avec intelligence à cette question aussi personnelle qu’universelle. Du conservatoire à la kora Il y a de ces voix qui jouent avec le temps et l’espace, et tracent des lignes lumineuses tendues vers l’ailleurs, comme des fenêtres sur le monde. Lorsqu’on entend chanter Lubiana, on réalise instantanément que la musique s’est imposée à elle comme un vecteur de quête artistique. Corps à corps avec son instrument, cette virtuose de kora semble être fondue dans une sculpture sonore de laquelle s’irradie une musique visuelle, empreinte de jeux de transparences et de réfractions. Sa voix possède les traits distinctifs des sopranos lyriques wagnériens – éclat cristallin, pureté de timbre, élasticité des cordes vocales. A cela s’ajoute une interprétation gorgée d’aspérités qui jaillit des tréfonds de l’âme. Lubiana a développé son style le long d’un parcours musical débuté au Conservatoire royal de Leuven, où elle s’est diplômée avec mention « grande distinction ». A côté du piano classique et du solfège, à 15 ans elle découvre le timbre grave de Sarah Vaughan et les dissonances de Nina Simone, et décide de se spécialiser en technique vocale jazz. Pendant des années, cependant, son chemin est parsemé d’embûches. Elle hésite sur le choix de l’instrument qui pourrait le mieux s’accorder à sa voix. Celui-ci lui apparaît dans un rêve dans lequel elle visualise une harpe composée d’une calebasse ronde et de 21 cordes accrochées au manche par des anneaux. Lubiana découvrira plus tard qu’il s’agit d’une kora, un instrument originaire d’Afrique de l’ouest, qu’elle ne connaît pas encore. Dès la première écoute, c’est le coup de foudre. En prenant des cours avec un professeur sénégalais, en parallèle de ses études de jazz, Lubiana parviendra à introduire cet instrument – qui « éveille tous nos sens », dit-elle – dans son cursus au conservatoire. Lors d’une rencontre avec l’immense Toumani Diabaté, ce dernier lui dit : « Si tu as rêvé de la kora, c’est qu’elle t’a choisie, car c’est comme ça qu’elle apparaît, en rêve ». Toumani Diabaté lui donne sa bénédiction et dessine, sans le savoir, le début d’un long parcours pour Lubiana. Elle consacrera sa thèse de diplôme du conservatoire à la transmission de la musique orale et aux liens entre la kora et des musiques basées sur l’improvisation, telles que le jazz et le blues. « Ainsi que le jazz à ses origines, explique-t-elle, la musique liée à la kora est basée sur des variations de cellules rythmiques (des patterns). De plus, contrairement à la tradition occidentale, la kora est un instrument diatonique qui s’accorde sur la voix et non indépendamment de celle-ci (tradition orale) ». Aujourd’hui, Lubiana est l’une des très rares femmes joueuses de kora, un instrument traditionnellement réservé aux hommes griots et transmis de père en fils.

La carte du Tendre : Londres-Los Angeles – Paris – Cameroun, Mali, Sénégal, Gambie…

A 21 ans, pendant ses études, Lubiana part faire le tour des open mic à Londres, puis à Los Angeles – où elle restera un an -, dans le but de rendre la kora accessible à d’autres cultures. Elle compose depuis l’âge de 16 ans et, à cette époque, Lubiana a déjà un répertoire qu’elle interprète en s’accompagnant de la kora. A Los Angeles, elle est repérée par le Om’Mas Keith, célèbre producteur de Frank Ocean et de Kanye West, qui la présente au gotha de la sphère neo Soul. Propulsée dans les studios d’enregistrement de Sunset boulevard avec des producteurs comme Jeff  « Gitty » Gitelman (ex-guitariste de Lauryn Hill et producteur de H.E.R et Lianne la Havas).

Elle rentre en France, à Paris, où elle déménagera, et est repérée cette fois- ci par le label 6 et 7, avec lequel elle publiera un EP et son premier album, Beloved. A partir de 2021, Lubiana fait de longs voyages en Afrique. A Saint- Louis, au Sénégal, elle décide de faire une retraite avec le griot mandingue Ablaye Cissoko, virtuose de kora connu pour ses sublimes rythmiques de basses arpégées. Ce dernier lui dit : « Lubiana, la kora à le son de ton âme, pense à tes mots et tes actions car tu as tout un peuple avec toi » L’album Terre rouge est traversé par l’écho de ses mots et par l’ouverture d’esprit de cette musicienne qui ne cesse d’approfondir son style. La façon unique de Lubiana de jouer de la kora – arpèges, accords, mélodies – est fascinante. Au jeu de kora traditionnel – très rythmé et incisif -, elle juxtapose un style plus mélodique, teinté de ses cordes vocales. Lubiana, poursuivra ses apprentissages de la kora au Mali chez les Diabaté – avec la sœur de Toumani Diabaté, la griotte et chanteuse Assetou Diabaté – et en Gambie dans l’école de la célèbre joueuse de kora, Sona Jobarteh. C’est au Mali, que Toumani Diabaté lui propose de faire un duo à deux voix. Plongée dans un état méditatif, par une nuit éclairée de la danse de la Voie lactée, Lubiana compose Mali, titre inspiré en rythme ternaire et quaternaire que l’on entend sur Terre rouge. Aux contrepoints des kora, jouées par Lubiana et Toumani Diabaté, s’unissent les arrangements de Clément Ducol et le son de cordes pincées du piano qui résonnent dans l’espace. Terre rouge est le fruit d’un long processus, d’une quête identitaire d’une jeune artiste qui désire avant tout transmettre un sentiment infini d’amour et se donne les moyens les plus sophistiqués pour y parvenir.

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« Terre Rouge », le documentaire

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