C’est à l’âge de 6 ans que Sheng monte pour la première fois sur scène, à l’occasion d’un concours de chant en Chine. L’expérience est comme une révélation : une fois sa chanson terminée, l’enfant refuse de descendre, jusqu’à ce que la sécurité intervienne. Il faut croire que le destin y est pour quelque chose, et que Sheng était depuis toujours une enfant terrible, faite pour la musique.
DE LA TIMIDITÉ EXACERBÉE À L’ENFANT TERRIBLE
Pour Sheng, la musique n’est pas un coup de foudre immédiat. Tout commence par des cours de piano pour Camille – de son vrai nom. Si les leçons sont au départ des moments compliqués, elles deviennent un vrai plaisir le jour où sa mère la laisse faire ses propres choix, et choisir d’autres instruments, comme la guitare au lycée. En outre, Sheng fréquente des stages où elle est initiée aux pratiques traditionnelles chinoises, où elle découvre notamment le sheng, cet instrument à vent composé de 17 tuyaux en bambou. Pourtant, Sheng ne doit pas son nom de scène à sa trop courte pratique des instruments traditionnels chinois, mais bien à sa mère : Sheng est son nom de famille. Très proche de cette dernière, la jeune femme lui doit ses premiers éveils culturels.
Il faut attendre ses premières années à l’université pour que le rap vienne à Sheng, à travers la rencontre d’une bande de garçons qui passent leurs soirées à kicker. Face à eux, les filles du groupe ne sont que des observatrices passives, ce qui agace Camille : « J’ai commencé à écrire pour que les filles soient représentées ». Dans le rap, c’est avant tout l’univers visuel qui fascine la jeune femme, alors qu’elle découvre les premiers clips de Columbine ou bien ceux de Laylow. Toutefois, ce n’est pas un hasard qu’elle se prenne si vite à l’écriture de freestyles. Fan de littérature, notamment de théâtre et de poésie, Sheng a toujours écrit. Une évidence, pour une petite-fille d’écrivain chinois. D’un freestyle à un autre posté sur Instagram, Sheng gagne rapidement en notoriété. Après avoir remporté plusieurs tremplins et concours virtuels, elle fait ses premières scènes à Paris, avant d’intégrer la famille Syndicate en décembre 2021, afin de produire son tout premier disque.
UN PROJET INTIME ET POLITIQUE
Comme souvent dans les arts, les premiers textes de Sheng naissent d’une rupture amoureuse particulièrement douloureuse. Dans un élan presque vengeur, la jeune femme se met en tête d’écrire sa propre musique, pour surpasser son ancien amoureux – lui aussi féru de rap. Ainsi naît “Venus”,
le tout premier morceau jamais écrit des mains de Sheng. D’autres suivront dans la même lignée, comme “Amok”, conçu comme une lettre à un ex : « J’ai hésité à le sortir, tant il est intime. Pour la première fois de ma vie, j’étais folle de tristesse ».
Avec certains morceaux, on peut imaginer Sheng comme une jeune femme désabusée, presque mélancolique. En réalité, ses mots révèlent une conscience aiguë du monde qui l’entoure, et une écoute attentive à ses propres émotions : « La musique est pour moi un moyen d’extérioriser les choses ». Ces choses, ce sont tout autant des peines de cœur, qu’un certain sentiment d’impuissance et de frustration face à l’état actuel du monde. Ainsi, dans “Stupéfaite”, elle s’insurge contre les injustices qui planent au plus fort du mouvement Black Lives Matter.
Ainsi, Enfant Terrible retrace le chemin parcouru par Sheng, comme un adieu à l’enfant qu’elle était. Le titre fait tout autant référence à l’écrivain Jean Cocteau qu’au groupe Columbine : « Je me suis toujours reconnue quand ils parlent d’un rêveur oublié dans la cour de l’école ». Pourtant, Sheng n’est plus une rêveuse dans la cour de l’école. Elle a grandi, et a quitté l’enfance – un processus douloureux, raconté dans ce premier projet teinté de nostalgie. Nostalgie de ces années que l’on ne pourra plus jamais revivre. Grâce au producteur Medeline, qui a travaillé avec les plus gros rappeurs français (Kerry James, Youssoupha, Booba) tout comme avec des plus jeunes talents (Jok’Air, Hatik), Sheng a réussi à développer un univers musical à son image, avec un flow qui n’est pas sans rappeler Damso, et une ambiance empruntée aux sad boys américains (XXXTentacion, Lil Peep). Elle a désormais toutes les armes pour affronter ce que l’âge adulte lui réserve. Le rap est devenu son refuge, le lieu de la catharsis par excellence pour une jeune femme pudique et réservée. Et qu’importe si de nombreux obstacles se trouvent sur le chemin : Sheng est déterminée, et rien ne pourra l’arrêter.